1 – Cette histoire est-elle réelle ?
Oui, cette histoire est authentique, même si la narration n’est pas neutre. Elle est racontée par Jehan Froissart dans "les chroniques de sire Jean Froissart qui traitent des merveilleuses emprises, nobles aventures et faits d'armes advenus en son temps en France, Angleterre, Bretaigne, Bourgogne, Escosse, Espaigne, Portingal et ès autres parties".
Considéré comme le plus important des chroniqueurs médiévaux, Froissart est né vers 1337 à Valenciennes et il décéda après 1404. Il est donc contemporain des événements qu’il relate. C’est l'historien officiel de Philippa de Hainaut, femme du roi d’Angleterre, Édouard III. Il voyagea de l’Écosse à l’Espagne et du Pays de Galles en France pour recueillir ses informations.
2 – Froissart écrit parfois « Radigois », parfois « Radigos »,
quel est le vrai nom de ce personnage ?
Radigois. En effet, hormis les noms célèbres, les patronymes des autres personnes ne sont pas stables dans l’ouvrage : Radigois/Radigos/Radigot, Hawkins/Hannequin, etc.. Cependant, l’analyse conclut que Radigois est le bon patronyme pour quatre motifs majeurs.
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Le traducteur, J. Buchon en 1830, utilise « Radigois » dans ces notes de bas de page, ce n'est sans doute pas par hasard.
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Les références retrouvées sur Google Book ou Gallica dans les sections « histoire » totalisent quelques occurrences à Radigos, qui se réfèrent toutes à Froissart, autrement dit une seule source, contre plusieurs centaines à Radigois. Or, Morlet (1997) dans son dictionnaire étymologique des noms de famille, lie la même origine aux patronymes Radiguet, Radigois et Radico (voir aussi sur notre site : 1291 – si notre nom pouvait parler ?).
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Les bases généalogiques les plus importantes (Généanet, Généologie.com, Family search, Planète généalogie) citent le nom Radigois 7.611 fois et celui de Radigos 15 fois, dont 11 concernent les pages de Froissart que vous venez de lire. Il ne reste donc que 4 « Radigos » sur l'ensemble des bases de généalogie ou d'histoire. « Radigois » est un nom rare et malgré cela, la différence entre 7.611 occurrences et 4 occurrences pour Radigos, montre que ce dernier patronyme n’existe pas et qu'il s'agit vraisemblablement de 4 erreurs.
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Enfin, le contexte historique est particulièrement compatible pour un Radigois comme le montre la question 4. Les titres aussi sont peu précis et flottants au-delà des grands personnages. Radigois l’Irlandois est titré « de Dury » dans le texte de Froissart et Jean-Alexandre Buchon. C’est pourquoi, nous retiendrons à travers les diverses écritures proposées : Radigois de Dury.
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3 –Radigois de Dury est-il un grand-père ou un cousin ?
Nous ne savons rien de précis sur l’état civil de Radigois l’Irlandois. Quand est-il né et où ? Qui sont ses parents Où et quand est-il décédé ? Était-il marié ? Avec qui ? A-t-il eu des enfants ? Dès lors, nous ne saurons jamais s’il est l’un de nos grands-pères.
Jusqu’en 1640, il est aisé de connaître les filiations.
Entre 1640 et 1540, elles ne sont pas toujours indiquées : il faut parfois procéder par recoupement, voire dresser une ou plusieurs hypothèses de filiation. Avant 1540, sur les communes qui nous concernent, il n’y a pas de registres de baptêmes, de mariages et de sépultures. C’est donc impossible à vérifier.
Cependant, statistiquement, il existe une très grande probabilité qu’il soit l’un de nos cousins à la mode de Bretagne.
En effet, sur une base de plus de 15 000 individus, enrichi des quatre principales bases de données généalogiques et de documents historiques, chartriers, etc., tous les Radigois contemporains d’Europe, des Antilles ou d’ailleurs et tous ceux découverts depuis 1430, avec une incertitude pour seulement 5 % d’entre eux, sont originaires d’un petit territoire au bord de la Loire, en aval de Nantes, entre Couëron, Saint-Herblain et Chantenay.
Notre patronyme est donc monophylétique, c’est-à-dire d’une seule source. Les porteurs du nom sont tous cousins !
Pour approfondir cette question, voir l’histoire et les zones d’expansion de notre nom de famille sur ce site, dans le dossier intitulé :
1281 - Si notre nom pouvait parler ?
4 – Que connaissons-nous de Radigois l'Irlandois ?
Nous ne savons rien de Radigois de Derry, hormis ces faits d’armes autour de Mauconseil, durant une année été 1358 – été 1359. Froissart le cite avec ses deux compagnons lors de la chevauchée de 1356 en Normandie du coté de Cherbourg et d’Evreux. Il fait partie des troupes anglo-bretonnes. On ne connaît rien de son état civil : date et lieu de naissance et de décès, ses parents, s’il était marié ou s’il a eu des enfants.

Extrait : Buchon J. A. (1867) Choix de chroniques
et mémoires sur l'histoire de France, avec notices biographiques. |
Enfin, le contexte historique est très cohérent et compatible. Avec ses deux compères François Hannequins et Robin l’Escot (l'Ecossais), il participe, en 1356, à la « chevauchée » conduite à travers toute la Normandie par le duc de Lancastre (famille royale d'Angleterre) contre le roi de France de l’époque, Jean Le Bon. Le futur duc de Bretagne Jean IV, alors âgé de 17 ans, et Robert Knowles, commandant des garnisons anglo-bretonnes de Bretagne, participent à cette expédition guerrière.
Alain Croix et ses collègues (Histoire populaire de la Bretagne, 2019) précisent qu’un chroniqueur anglais (qu’ils ne référencient pas) Robert Knowles, poursuivit ses chevauchés sur les marches de Bretagne et Normandie où il pilla, au mépris des trèves, après 1358, selon les pratiques soldatesques de l’époque.
Selon le comte de Gobineau, auteur de "Histoire d'Ottar Jarl et de sa descendance", après les épisodes picards que nous relatons, Radigois est descendu sur Nantes avec Robert Knowles. N’oublions pas que le fief principal des Montfort est la région de Nantes et qu’ils sont seigneurs de Guérande.
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Ces événements nous invitent à penser que Radigois de Derry était dans les garnisons anglo-bretonnes du (futur)duc Jean IV.
Si, jamais nous ne pourrons confirmer une telle parenté, statistiquement cette probabilité est extrêmement forte.
5 – Froissart surnomme ce capitaine : Radigois l’Irlandois.
Notre famille serait-elle Irlandaise ?
Non. L’histoire familiale et le patronyme « Radigois » invitent à considérer que l’origine se situe le long de la Loire, près de Saint-Herblain.
La grande Histoire nous rappelle que Guillaume Le Conquérant, duc de Normandie fit appel en 1066 à beaucoup de « petits » chevaliers bretons pour conquérir l’Angleterre. Ceux-ci reçurent des tenures sur les territoires anglo-saxons et devenaient titulaires de petits fiefs, souvent de quelques champs. Guillaume le Conquérant donna aussi aux ducs de Bretagne, le riche Comté de Richmond, au nord de l’Angleterre, qui resta l’apanage des descendants de la famille ducale non héritière durant quasi tout le Moyen-âge. Richard Cœur de Lion, au XIIe siècle fit aussi appel à des chevaliers bretons dans les mêmes conditions et donna les mêmes récompenses.
Durant le Haut-Moyen-âge, la mer n’était pas une frontière, mais un passage où cette population était « possessionnée » en Grande et Petite Bretagne, d’autant plus que les récipiendaires de petites tenures, ne s’y rendaient jamais.
Comme nous l’avons discuté dans la question précédente, des éléments recueillis dans les chroniques de Froissart comme la participation de Radigois de Derry dans la chevauchée avec Robert Knowles et Jean de Montfort, le lancement de la reconquête de Jean de Montfort à partir de son fief nantais et l’histoire de notre famille rendent fort probable l’hypothèse d’un Radigois, combattant Breton de l’armée anglo-bretonne du futur duc Jean IV.
Radigois est écuyer. Était-il récemment anobli pour ses actes ? Jean-Yves Bonnard (dernier point ci-dessous) précise qu’à l’époque de la guerre de Cent Ans, beaucoup de chevaliers, n’avaient plus les moyens de s’offrir la coûteuse cérémonie d’adoubement. Par exemple, bien que connétable de France (chef des armées), Bertrand Duguesclin, qui combattait pour le roi de France contre son suzerain légitime, le duc de Bretagne, fut adoubé très tardivement.
Évidemment, en l’absence de document positif, rien ne peut confirmer ou infirmer ces deux hypothèses.
Synthèse de la discussion
Ainsi, les recherches sur les patronymes dans les divers moteurs de recherches (question 2) convient à considérer que Radigois serait le nom de ce personnage, cependant, jamais nous ne saurons s'il s'agit d'un grand-père (cf. question 3). Il y a, par contre, de fortes probabilités qu'il soit cousin à la "mode de Bretagne" de par notre particularité de nom rare et monophylétique (question 4). De plus, le contexte historique est cohérent, tant au niveau régional d'une troupe anglo-bretonne venant et revenant au pays nantais entre Guérande, fief des Montfort, et Derval, forteressesque Robert Knowles, recevra du duc Jean IV(question 4 et 5). Elle l'est aussi par la situation d'écuyer de Radigois où cette période de guerre de succession de Bretagne voit de simples chevaliers locaux acquirent richesse et considération sociale et d'autres ruines (Cassard, dans Monnier et Cassard, 2 012) (question 5). De Guillaume le Conquérant à Richard cœur de lion et au-delà, la pratique des rois anglais de solliciter des chevaliers bretons et de les doter de quelques titres est inscrite dans le Moyen-âge où les ducs de Bretagne ont l'apanage du riche comté de Richmond (question 5).
Je remercie l'informateur qui nous a signalé une hypothèse récente ou Radigois l'irlandais serait Rodrigo de Uriz, grande famille espagnole de Navarre.
Cependant, nous tentons de naviguer entre deux écueils. Nous efforçons d'éviter le premier à travers la déclinaison des cinq points ci-dessus, en élargissant nos investigations et en sollicitant des conseils compétents, en offrant au lecteur notre argumentation, en précisant les limites de l'étude et en qualifiant de probabilités ou d'hypothèse des éléments non confirmés par des documents positifs.
Versus, omettre par méconnaissance l'existence d'un vieux patronyme, rare, géographiquement ciblé et vraisemblable dans le contexte pour se raccrocher à un haut personnage célèbre, donc connu, peut biaiser la recherche. Que le futur duc de Bretagne, Jean de Montfort qui donnera la forteresse de Derval à Knolles en 1364, soit accompagné par des hommes de son fief ne paraît pas farfelu.
Ce biais devient une impasse méthodologique lorsqu’il devient idéologique, comme nous démontre le linguiste Bertrand Luçon sur la signification du nom de la ville de Carquefou, au nord-est de Nantes.
Après avoir relevé une dizaine d’écritures entre 1123 et 1683 Luçon montre que ni « Carcafus fagus » (Carcafagus en 1123, donnant le nom peu convainquant de chêne-hêtre à cette ville), ni Querque folium (en 1287) ne peuvent donner « Carquefou ». De plus, « le maintien de « ca » et de « que » ne s’explique pas s’il s’agit d’un nom de formation latine en évolution romane d’oil ». L’auteur démontre aussi que la référence au mot germanique Kirk (église) est aussi très peu vraisemblable (sic). Il reprend Querquefou en 1272, puis Kerquefou et Carquefou en 1550 etc..
En comparant l’évolution des noms de lieux dans d’autres régions bretonnantes, il part d’une formation bretonne en kêr, et propose Kergefoù ( = village des souches) d’autant plus significatif ici, qu’il fallut défricher dans l’ancienne forêt d’Arlèze avant la création de ce bourg.
Luçon conclut : « La position de Carquefou aux portes de Nantes a dissuadé les toponymistes d’y voir un nom breton, alors que rien ne s’y oppose à l’exception de deux mauvaises latinisations médiévales » d’ailleurs incompatibles entre elles et dans une zone bretonnisée du diocèse de Nantes. |
Cependant, sans avoir encore pu étudier ces argumentaires, il semble surprenant qu'un grand seigneur espagnol soit surnommé l'irlandais,
cf. entre autres, note de Buchon (Chapitre LXXVI, qu’il soit qualifié d‘écuyer « Anglois » (Chapitre LXXXI) et qu'il ne soit que simple écuyer. De plus, l'écriture des noms était phonétique, d'où Radigoy, Radigois, Radigoua, Radigouai dans nos généalogies et notre nom apparaît sous la forme Radigois, outre ici, en 1460, 1430 et même en 1291 dans des chartriers ou documents historiques. Or il s'agirait ici d'une illustre famille dont la prononciation à l'espagnole "Rodrigo dé Urizé" est éloignée de celle de "Radigois de Derry" ou « Radigois l’Irlandois ». Dès lors, en l'état de nos connaissances, le fait que "Radigois l'irlandais" soit un lointain cousin éloigné affiche une probabilité solide, mais sans certitude, même si l'hypothèse espagnole nous semble fort peu probable.
6 – Pour aller plus loin :
Radigois de Dury dans la bataille de Mauconseil en BD

L’album de Jérome Pauzet et de Jean-Yves Bonnard (2008) raconte la Bataille de Mauconseil, l’un des épisodes rapportés dans ce dossier où Radigois de Derry est impliqué.
Jean-Yves Bonnard, professeur d’histoire, est pédagogue, rigoureux et scientifique, mais jamais ennuyeux, offrant des petits compléments pour ceux qui souhaitent aller plus loin.
Jérôme Pauzet est fidèle aux sources. Il nous conduit, à travers un scénario bien construit et une pagination aérée, d’un événement picard, vers la grande histoire. La bibliographie le confirme.
Les dessins privilégient la réalité historique dans les moindres détails tant pour les faits que les costumes, les armes ou les bannières. De plus, l’ouvrage s’enrichit d’annexes de qualité sur l’histoire du château de Mauconseil, de la ville de Noyon, de Chiry-Ourscamp et son abbaye et bien d’autres choses encore comme les combattants, leurs armures ou l’héraldique. La transcription des Chroniques de Froissart permet au lecteur de se référer aux sources.
Pourquoi les auteurs parlent de Radigos et non de Radigois ? Ils utilisent le manuscrit. Sur les pages relatives à cet épisode, Froissart écrit Radigos. Plus loin, il nommera le même personnage Radigois : les auteurs écriront alors Radigois (cf. p 38). Cette rigueur de transcription à la lettre près, est la norme scientifique. C’est celle que nous avons aussi utilisée.
Nos commentaires sur Radigos et Radigois et autres points n’apparaissent que dans cette section de discussions, distinguant la réalité des sources et notre interprétation de ces données qui est ouverte à la discussion. |
Découvrez l'album en cliquant sur la vignette ci-dessus |
Bref, il s’agit d’un ouvrage remarquable, à la fois aisé et agréable à lire, emprunt de qualités scientifiques qui manquent souvent à des ouvrages de vulgarisation. Le lecteur néophyte ou le passionné averti du Moyen-âge et de la guerre de Cent Ans, aura plaisir à découvrir l’histoire de ce coin de Picardie avec l'envie de visiter les lieux et les monuments.
Un Radigois attiré par ce cousin atypique pourra satisfaire sa curiosité en explorant un autre point de vue que le côté anglo-breton : celui de Picardie et du roi de France.