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1724 - 1751– Et les RADIGOIS du Pays de Vannes changèrent de nom


Curieuse histoire en Morbihan : jusque dans les années 2010, lorsqu’un RADIGOIS se présentait dans la région de Malestroit-Ploërmel, immanquablement, on lui demandait s’il était cousins des RADIGOIS de Ruffiac (Morbihan). Aussi immanquablement, il affirmait le contraire, évidemment. Pour peu qu’il soit curieux, il ouvrait alors l’annuaire et ne voyait aucun RADIGOIS, mais des RADIOYES.

En effet, depuis 270 ans, cette famille et leurs voisins écrivent RADIOYES et le prononcent souvent RADIGOIS. La légende familiale dit que leurs ancêtres étaient étrangers (sans doute d’origine anglaise), riches et respectables.  Qu’en est-il ? Qu’elle est cette histoire ?

 

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L’histoire
 

Le 18 juillet 1724 à Ruffiac, un Simon RADIGOIS épouse l’honorable fille, Anne RIGON. La profession de Simon n’est pas précisée, mais de la naissance de son premier fils, Julien, en 1727, et jusqu’à son décès en 1765, il sera déclaré fermier. Ils habiteront à la maison des Greffins de 1727 (ou avant) jusqu’à leur décès.

 

Archives départementales du Morbihan. Ruffiac - registre de Baptêmes, mariages, sépulture 1698 - 1750, v 390  
Archives du morbihan
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La maison des Greffins. Simon Radigois et Anne Rigon y habiteront de 1727 au moins jusqu’à leurs décès.
Il semble s’agir d’un pourpris important : maison (nom donné dans les écrits),
ensemble important de dépendances, maisons de ferme et d’écuries, ainsi qu’une ancienne chapelle (semble-t-il) à l’entrée de la propriété.

 

À leur baptême, le nom de Simon et de ses enfants s’écrit RADIGOIS, RADIGOUÈ ou RADIGOUAI, reflétant la prononciation en Gallo (pour l’explication du Gallo et de l’écriture des noms sur leur phonétique, voir « 1281 - si notre nom pouvait parler ? »).

En 1750, lorsqu’Anne, second enfant de Simon et d’Anne RIGON, épouse Yves ROUX, son nom de famille se transforme en RADIOYES. Un an plus tard, au baptême de Marie-Anne, fille du jeune couple, Anne reprend son nom de RADIGOUÈ. Après leur installation en la maison-noble de la Jouardais (Les Fougerêts, Morbihan), elle portera fréquemment les formes RADIGOUÈT, RADIGOUAIS ou RADIGOIS. Les formules en RADIOYES se déclineront en RADYOYES ou RADYOIES.

 

Maison noble de la Jouardais, Les Fougerêts. Yves Roux, décédé vers 1777 et Anne Radigois, décédée le 20 février 1790,
habitèrent jusqu’à leur décès dans cette maison de la Jouardais.

 

Mathurin, le troisième enfant de Simon et d’Anne RIGON, est particulièrement intéressant. Il signe RADIGOUÈ jusqu’à ses 21 ans (baptême de sa nièce, Anne-Marie en 1751). En 1754, son acte de mariage reprend RADIGOUÈ, mais il signe RADIOYES. Qualifié de noble homme en 1782, il est précisé qu’il est greffier de plusieurs juridictions en 1784. Avec son épouse, il eut treize enfants. À partir du baptême de son premier fils, Timothée en 1756, le nom de famille se stabilise à l’écrit en RADIOYES.

En 1763, sa fille Rose Marie Magdeleine, eut pour marraine Louise Marie Rose Magdeleine de Cosnoal du Cartier Saint-Georges. Le père de celle-ci serait Paul René de Cosnoal du Cartier Saint-Georges (1747-1767), lieutenant de la maréchaussée de Vannes. Mademoiselle de Cosnoal serait la dernière descendante des propriétaires, entre autres, du Château de Lieuzel (Pleucadeuc, Morbihan), comme d’autres propriétés de cette paroisse, par exemple La Ville Bonnet. Elle le transmet, par alliance, aux Paris de Soulanges en 1765. En 1766, Mathurin et sa famille s’installent en tant que fermier au château de Lieuzel, parfois nommé pourpris. Un pourpris désigne un grand jardin clos de murs enserrant une demeure, celle des employés et l’ensemble de ses dépendances. Mathurin porte le titre de sieur de Lieuzel.

En 1775, Lieuzel passa par héritage aux Marnière de Guer. Mathurin et sa famille reviennent sur Ruffiac entre 1777 et 1779. Il y sera maire de 1796 à 1798. Ces coïncidences nous interpellent, mais nous ignorons le motif du départ de Mathurin.
Ses autres frères et sœurs et leurs enfants conserveront désormais le patronyme RADIOYES.

 

L’enquête

 

Pourquoi, presque 300 ans plus tard, RADIOYES se prononce-t-il parfois encore RADIGOIS ? L’origine de cette dichotomie entre prononciation et écrit semble résulter d’un effet graphique, séparant le rond et le jambage de la lettre « g ». Le rallongement de la graphie n’est pas exceptionnel. Il était courant au XVIIe siècle de prolonger son nom en rajoutant des lettres pour se donner de l’importance. C’est l’exemple d’un autre Radigois, greffier du Marquisat du Bois de la Musse qui prolongeait le son "oi" de son nom en y ajoutant un « a » :RADIGOYA, « oy » se prononçant « oi » (cf. : 1665 - La drôle de signature de Maistre Louys RADIGOY)

De plus, selon Dominique Allain (2002, p 38), certains prêtres étaient peu attentifs aux noms de famille : ils pouvaient l'écrire de trois façons différentes dans le même acte, voire six ou sept manières sur plusieurs actes. Cependant, que les noms proviennent du breton, du français ou d'autres langues, une lente normalisation française tenta d’unifier les écritures sur l’ensemble du territoire.

La différence entre écrit et prononciation conforte l’hypothèse d’un glissement d’écriture d’un nom prononcé différemment. Elle est validée par la double écriture du nom sur plusieurs décennies, la réintroduction du nom RADIGOIS, pour Anne et d’autres, et la continuité sur 270 ans de cette différence entre l’écrit et l’oral.

Signature de Maistre Louys Radigoy en 1679
Archives départementales de Loire-Atlantique
Saint-Herblain BMS, 1679.
Archives.loire-atlantique
 

Ni l’acte de mariage de Simon RADIGOIS et d’Anne RIGON, ni aucun autre relatif à leurs décès, ni les baptêmes ou les mariages de leurs enfants, n’indiquent de parenté du côté de Simon, à la différence d’Anne RIGON, issue d’une famille de Ploërmel, chirurgiens du Roi. Cette absence de parenté et l’inexistence de RADIOYES sur ce territoire avant 1724 démontrent que Simon est étranger à la région.

Enfin, nous voyons que Simon est qualifié d’honorable homme. Ce titre est porté par les membres du Général de la paroisse. Il est donc suffisamment apprécié et aisé pour pouvoir y être coopté. En effet, sous l’ancien régime, la paroisse n’était pas uniquement une entité religieuse, mais une représentation administrative, politique et financière composée du recteur (curé) et de l’assemblée délibérante appelée Général de paroisse. Ce Général est dirigé par trois marguilliers ou fabriciens (titre des membres de ce bureau appelé la Fabrique), chargés de gérer les biens de la paroisse, les travaux et la répartition dans les familles de la capitation (impôts), en gageant le tout sur ses ressources personnelles.

Ainsi, la légende familiale répond à quelques réalités. Simon est bien étranger au pays de Vannes. Cependant, l’hypothèse anglaise, que certains attribuent au son « yes » de « RADIOYES » est peu pertinente, car à cette époque l’écriture du nom était essentiellement phonétique d’où les différentes écritures RADIGOUAI, RADIGOUÉ, RADIGOUÉT, etc. Par contre, il était effectivement reconnu et suffisamment aisé pour être coopté comme membre du Général.

Mais alors, qui est ce Simon RADIGOIS et d’où vient-il ? Il nous manque un acte authentique pour le savoir. La participation de Simon au Général, et donc bénéficiaire de revenus, suppose que Simon et Anne RIGON ont rédigé un contrat de mariage. En absence des données d’état-civil, nous avons alors exploré les archives notariales déposées aux Archives départementales du Morbihan. À travers les diverses tables, nous n’avons pas trouvé de notaires à Ruffiac avant 1740. Le sort s’acharne !

L’absence de RADIGOIS avant 1724 à Ruffiac et l'inexistence de RADIOYES ici ou ailleurs nous invitent à chercher du côté des RADIGOIS. À cette époque, ils sont essentiellement concentrés autour de Saint-Herblain, Couëron et Chantenay (en aval de Nantes) ou autour d’Héric ou de Nozay au nord de Nantes. Simon, porteur d’un nom de famille monophylétique (d’une seule souche) ne peut venir que de l’évêché de Nantes, alors que Ruffiac est dans l’évêché de Vannes, sur la frontière avec celui de Saint-Malo (dont dépendait Ploërmel).

Cette fois, le hasard nous aide : il y a très peu de Simon ou de Symon RADIGOIS à cette époque. À partir de notre base de plus de 11.200 individus et des recherches parmi les grandes bases généalogiques, nous n’en rencontrons pas dans la région d’Héric et un seul susceptible d’être pertinent à Saint-Herblain.

Il s’agit de Simon fils de François RADIGOIS et de Renée Ricordeau. Il est né à la Guilbaudière (Saint-Herblain, 44) le 6 février 1686. Nous ignorons ce qu’il est devenu. Son père décède à trente-cinq ans le 8 juin 1690 alors qu’il n’avait que quatre ans. Il n’a eu qu’une sœur, Janne, qui vécut dix-huit jours, et un frère, François, décédé à vingt et un mois. Quant à sa mère, elle se remaria en 1692. Elle décède à son tour en 1719 à Saint-Herblain. Simon ne sera pas présent à sa sépulture. Était-il déjà parti ?

Cependant, il nous faut trouver un lien entre Saint-Herblain et Ruffiac, éloignés de 100 km par la route de Redon. Au début du XVIIIe siècle, ce voyage doit se faire à pied et sur plusieurs jours. Un tel voyage est-il crédible ? Un élément nous est donné par Pierre Bernard de Saint-Herblain.

Pierre est issu d’une vieille famille herblinoise où il est né le 16 avril 1715. À 21 ans, le 7 août 1736, il épouse Renée Blandin, à Saint-Herblain. Celle-ci est également originaire d’une vieille famille herblinoise. Or, le recteur de Saint-Herblain prend soin de faire publier des bans à Ruffiac et il attend le résultat de cette publication par le recteur de cette paroisse avant d’autoriser le mariage. En effet, nous dit l’acte de mariage, Ruffiac est le dernier domicile connu de Pierre Bernard. Ainsi, dans les années qui suivent le mariage de Simon, un jeune Herblinois séjourne aussi à Ruffiac puis rentre ensuite à Saint-Herblain.

Cette fois, notre hypothèse est sérieuse. Cependant, pour quelle raison Simon débarque-t-il à Ruffiac ?

 

L'hypothèse

 
Ruffiac et Saint-Herblain sont des lieux de villégiature d’une célèbre et vieille famille bretonne de haute noblesse : de la Bourdonnais. Le marquis de la Bourdonnais remplit des fonctions de conseiller du roi. Il siège au parlement de Bretagne (à Nantes) et possède, comme les riches familles nantaises de cette époque, une demeure en Saint-Herblain : la Chauvinière.
 

La Chauvinière à Saint-Herblain
 

Du côté de Saint-Herblain, Charles RADIGOIS (1689 - 1763) naquit trois ans après notre Simon RADIGOIS, dans le même quartier de Saint-Herblain, pas très loin de la Chauvinière. Il eut comme marraine Charlotte de la Bourdonnais, fille de Charles de la Bourdonnais, seigneur de la Hunelaie et Coëtion. La vicomté de Coëtion et La Hunelaye se trouvent sur Ruffiac à 6 km l’une de l’autre. Par contre, entre la Hunelaye et la maison des Greffins où demeure Simon RADIGOIS-RADIOYES, il y a moins de 600 m.

Revenons à Charles Radigois. À la génération suivante, Charles exerce la fonction de procureur de droit, notaire et laboureur. Sa fille aura alors pour parrain le très célèbre Yves Marie de la Bourdonnais, dont le titre est seigneur de Coëtion en Ruffiac (sic), de Montluc et Cordemais (villes proches de Saint-Herblain) et de la Chauvinière en Saint-Herblain.

Dès lors, il est très probable que l’un de ces illustres parrains ait accepté ou proposé à Simon RADIGOIS, jeune orphelin Herblinois, né de François et Renée Ricordeau, de devenir fermier sur des terres qui leur appartenaient, près de la Hunelaye, en la maison des Greffins à Ruffiac.


village de Coëtion près de Ruffiac en 2014-03-22
 

En résumé, le nom RADIOYES provient bien d’une déformation à l’écrit du nom RADIGOIS. Cependant sa prononciation est conservée correctement pendant près de 300 ans. On croyait que le « patois » déformait la vérité, au contraire, la mémoire populaire révèle la réalité.

À ce jour, nous manquons d’acte authentique pour certifier ce RADIGOIS, fondateur du rameau des RADIOYES. Nos recherches se poursuivent. Toutefois, avec le caractère monophylétique (d’une même souche) des RADIGOIS (cf. : 1281 - si notre nom pouvait parler ?), leurs ancêtres proviennent statistiquement de Saint-Herblain. Simon fils de François RADIGOIS en est très vraisemblablement l’ancêtre.
 
Il est amusant de constater que Mathurin RADIOYES renoue avec des pratiques de RADIGOIS nantais, à la fois laboureur, mais aussi greffiers, procureurs ou notaires locaux avec des engagements citoyens comme membres du Général de paroisse ou de maire et…  le souci de donner de l’importance à leur nom par un jeu d’écriture.

Devrions-nous pour autant inscrire les RADIOYES dans notre généalogie ? La question est ouverte. Vos avis et en particulier celui des descendants sont essentiels. Les RADIOYES apportent à notre famille une particularité exceptionnelle : la création d’un nom au XVIIIe siècle.
Nous leur ajoutons deux cents ans de plus à leur généalogie et un accueil dans une famille décidément bien atypique quand on y découvre nos histoires.

 
Crédit photos : Jean-Yves Radigois - 2014
La Chauvinière : Jean-Michel Radigois - 2014
 
© Jean-Yves Radigois – Les cousins d’Édouard – 2014