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Accueil / Les cousins d'Edouard / Histoire des Radigois / Radigois l'Irlandois / Chapitre LXXV
 
 
1358 : Radigois de Dury (Derry ?),
capitaine de la guerre de Cent Ans
 
Comment les Navarrois de Creel (Creil) et de La Harelle
déconfirent les Picards et ceux de Vermandois (Saint-Quentin) devant Mauconseil.
 
 

Quand le duc de Normandie (le dauphin Charles) se tenoit à Paris entendit que tels gens d'armes exilloient (ravageaient) le pays, au titre du roi de Navarre, et qu'ils multiplioient trop grossement (grandement) de jour en jour, si avisa qu'il y pourverroit de remède; car par tels gens se pourroit perdre le royaume de France dont il était hoir (héritier). Si envoya par toutes les cités et les bonnes villes de Picardie et de Vermandois, en priant que chacune, selon sa quantité, lui voulût envoyer un nombre de gens d'armes à pied et à cheval, pour résister à l'encontre de ces Navarrois, qui ainsi exiloient (ravageaient) le pays et le royaume de France dont il avoit le gouvernement, et que ce ne faisoit mie (pas) à souffrir.


Les cités et les bonnes villes le firent moult volontiers, et se taillèrent chacun selon son aisement (convenance), de gens d'armes à pied et à cheval, d'archers et d'arbalétriers et se trairent (retirèrent) premièrement par devers la bonne cité de Noyon, et droit devant la garnison que on dit Mauconseil, pour ce que leur sembloit que c'étoit le plus léger des forts à prendre que les Navarrois tenoient, et qui plus grevoit et contraignoit ceux de Noyon et le bon pays de Vermandois. Si furent capitaines de toutes ces gens d'armes et communes l'évêque de Noyon, messire Raoul de Coucy, le sire Raineval, le sire de Cauny, le sire de Roye, messire Mathieu de Roye son cousin et messire Baudoin d'Ennecquin maître des arbalétriers ; avoient ces seigneurs avecques eux plusieurs chevaliers et écuyers de Vermandois, de Picardie et de là environ. Si assiégèrent de grand' volonté Mauconseil, et y livrèrent plusieurs assauts, et contraignirent durement ceux qui le gardoient.

Quand les compagnons qui dedans étoient se virent ainsi pressés de ces seigneurs de France qui durement les menaçoient, et ils eurent bien considéré entr'eux que longuement ne se pourvoient tenir qu'ils fussent pris et déconfits, siescripsirent (écrirent) leur povreté et signifièrent à messire Jean Péquigny, qui pour le temps se tenoit en La Harelle et à qui toutes ces forteresses obéissoient, en priant qu'ils fussent réconfortés et secourus hâtivement, ou il les convenoit rendre à meschef (une situation facheuse). Quand messire Jean de Péquigny entendit ces nouvelles, si ne les avoit mie (pas) en oublie, mais se hâta durement de conforter ses bons amis de Mauconseil ; et manda secrètement à ceux de la garnison de Creel (Creil) et à toutes autres de là environ, qu'ils fussent appareillés et sur le champ en un certain lieu que il leur assigna ; car il vouloit chevaucher. Toutes manières de gens d'armes et de compagnons obéirent de grand'volonté à lui et se trairent (retirèrent) là où ils devoient aller.

 

Quand ils furent tous ensemble, ils se trouvèrent bien mille lances de bons combattants. Si chevauchèrent ces gens d'armes de nuit, ainsi que guides les menoient, et vinrent sur un ajournement (en un jour) devant Mauconseil.

Cette matinée faisoit si grand’ bruine que on ne pouvoit voir un arpent de terre devant loin. Sitôt qu'ils furent venus ils se férirent (frappèrent) soudainement en l'ost (armée) des François, qui de ce point ne se gardoient, et qui dormoient à petit guet, comme tous assurés. Si écrièrent les Navarrois leur cri, et commencèrent à découper et à tuer gens et abattre tentes et trefs (pavillons) à grand exploit ; car les François furent pris sur pied, tellement qu'ils n'eurent loisir d'eux armer ni recueillir; mais se mirent à la fuite

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qui mieux pourvoit devers la cité de Noyon qui leur étoit assez prochaine ; les Navarrois après. Là eut grand' bataille et dur hutin (bruit) et moult de gens morts et renversés entre Noyon et Ourquans l'abbaye et entre Noyon et le Pont l'évêque, et tout là entour ; et gisoient les morts et les blessés à monceaux sur le chemin de Noyon et entre haies et buissons. Et dura la chasse jusques aux portes de Noyon ; et fut la cité en grand péril de perdre ; car les aucuns disent, qui furent là d'un lez (côté) et de l'autre, que si les Navarrois eussent voulu bien certes ils fussent entrés dedans, car ceux de Noyon par cette déconfiture furent si ébahis, que quand ils rentrèrent en leur ville, ils n'eurent mie (pas) avis de clore la porte devers Compeigne (Compiègne) ; et fut pris l'évêque de Noyon devant les barrières et fiancé prisonnier (prisonnier sur parole) ; autrement il eût été mort. Là furent pris messire Raoul de Raineval, le sire de Cauny et les deux fils au borgne de Rouvroy, le sire de Turote, le sire de Vandeuil, messire Antoine de Codun, et bien cent chevaliers et écuyers ; et en y eut de morts bien quinze cents ; et espécial (surtout) ceux de la cité de Tournay ils perdirent trop grossement, car ils étoient là venus en grand' étoffe et très bon arroy (ordre de bataille) et riche. Et veulent dire les aucuns que de sept cents qu'ils étoient, il en retourna moult petit que tous ne fussent morts ou pris, car ceux de Mauconseil issirent (sortirent) aussi qui paraidèrent (prêtèrent une aide décisive) à faire la déconfiture, qui fut l'an de grâce mil trois cinquante huit, le mardi prochain après Notre-Dame en mi-août qui fut adonc par un samedi.

 

1 – Note de J. Buchon : cette date est évidement fausse : l'Assomption de la Vierge arriva en 1358 le mercredi et non le samedi. Il vaut mieux adopter ces des Chroniques de France, qui placent cet échec au mardi 14 août.

 
« Les croniques que first Jehan Froissart en.VIII.livres », manuscrit, Source : Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 2641. Date de mise en ligne dans Gallica :18/09/2012. Télé accessible à : http://gallica.bnf.fr
 
©Jean-Yves Radigois, Marie-Brigitte Radigois – Les cousins d’Édouard – 2012